MENU

Sur le chômage, les dividendes, et leur lien de...

Reportage photo: Népal

23 février 2016 Commentaires (0) Vues: 3950 Article

IN VIVO: Buvard Mag, le magazine de trop

Malgré la démission de l’ensemble de la rédaction de Buvard Mag, son ancien rédacteur en chef, J-Pol, ne peut s’empêcher d’écrire. Car en dépit des sommations répétées de ses ex-collaborateurs, il ne déviera jamais de son objectif: défricher le monde, peindre par la grâce de sa plume de piaf l’hypocrisie sans relief d’une société qui lui échappe autant qu’elle indiffère son lecteur égaré.

C’est en perdant son regard à travers la fenêtre, grandiose belvédère sur le jardin d’enfants nains où deux pigeons malades ont élu domicile, que J-Pol ressentit le besoin de coucher sur le papier les stigmates éculés de son écriture surchargée. A chacun de ses projets pharaoniques, J-Pol adopte la même démarche qu’il croit pourtant inédite. Une technique qui consiste à se fondre dans la réalité pour mieux embraser les contours trop souvent fantasmés de ses enquêtes capitales. Du gonzo, mais à jeun. Il loue pour quelques semaines une maison de ville près du Cirque d’Hiver, Filles du Calvaire, Paris 11. Une bicoque à la fois chère et vilaine, dans laquelle J-Pol a le privilège d’héberger son fils, Fédéré, 12 ans. Un garçon admiratif de son géniteur, jusqu’au jour où il s’apercevra de la supercherie.

— Tu fais quoi, Papa ?

— Tu es grand, maintenant, Fédé. Et tu disposes pour l’instant d’une rétine d’une excellente qualité. Voyons…tu vois bien que je travaille…

— … “pour assurer le recouvrement de la pension alimentaire versée le premier mardi de chaque mois à ta génitrice”, oui, je sais. Nan, mais j’veux dire, t’écris quoi, là ?

— Comment t’expliquer, c’est très politique, murmure J-Pol, pénétré. Il n’a pas la moindre idée de ce qu’il va écrire, ni même s’il le fera.

Dans la rue trône le temple de la papeterie depuis 150 ans: Rougié & Plé. Il écrit.

Quel avenir pour la papeterie ?

Les coulisses de l’univers des fournitures de bureau.

— Ah ? Et pourquoi tu n’as qu’un feutre et un crayon sur la table ? T’as pas de bouquins ? T’as tout dans la tête ?

J-Pol sourit.

— Excuse-moi deux secondes, je te prie, fulgurant chenapan. D’un geste agressif, il raye ses premiers mots.

Le feutre, marqueur de notre temps

Plaidoyer pour la béatification d’Iwai Noboru et de Yukio Horie, par J-Pol Pompeux.

On a beaucoup parlé des crayons, ces derniers temps. De ces symboles rassurants de l’imagination évanouie de nos héros fatigués. Le crayon est devenu le totem de notre conscience endormie.

— Je peux te prendre ton Velleda, Papa ? J’en ai besoin pour le bahut demain, demande Fédéré. J-Pol reprend.

Partout, les hommes ont érigé cette haie de graphite, herse sans fin masquant le véritable sauveur, injustement relégué: le feutre. Certes, le crayon incarne le charme désuet de l’authenticité. Lui seul sait préserver la magie de ses collerettes boisées, fractales taillées depuis l’obsolescence programmée des stylets en métal de l’Antiquité. Témoin de la force du Grand Frêne, il relie à lui seul l’Homme à la Nature, lui rappelant à chaque trait sa médiocrité.

C’est un des handicaps majeurs de J-Pol. il n’aime pas se relire. Ni trop préparer ses articles. Pas de brouillon. Et malgré l’évidente fébrilité de ses propos aussi lourds que le plomb, J-Pol est assez sûr de sa plume. Le premier jet est pour lui la garantie absolue de la fulgurance de ses écrits. Aux gogues le brainstorming.

— T’as trouvé une idée ?, s’interroge Fédéré, alerté par les crissements du poignet de son père.

— Une lumière, Fédé, d’aucuns diront le déclic, répond J-Pol, transi par sa prose d’un autre âge.

Mais la primauté du crayon ne saurait empêcher le règne du feutre. conçu par la société japonaise Pentel, le marqueur est devenu au début des années 60 le partenaire indispensable de l’auteur, l’outil fugace de l’imagination sans limite des créateurs du Siècle. Car contrairement au crayon, le feutre a conscience de son éphémérité. Sans son fidèle capuchon, il s’assèche à petit feu, dans un râle d’oxydation mutique. le feutre est profondément social, sachant trop combien seule la solidarité le sauvera. Il ne revendique pas l’immortalité. Et c’est sans doute ce rapport intime et lucide à l’existence qui fait de lui un allié indéfectible de l’Homme, lui-même assez mal barré.

Le crayon se caractérise lui par son auto-suffisance supposée. Une arrogance insupportable qui ignore de sa pointe hautaine ses vassaux humiliés: l’indispensable béquille de son succès, la gomme, cet esclave oublié, ainsi que le sauveteur taille-crayon, médecin-urgentiste relégué dans les sanisettes de l’Art.

— Papa ? Ca va ? Je te prépare un Xanax codéiné ?

Possédé, J-Pol ne s’arrête plus.

Car face à la fourberie des crayonnés aux traits suggérés, le feutre s’exprime avec franchise. Sans détour, il rassure de son trait mat la main amoureuse. Indélébile, il sait prendre les risques que ce félon de crayon évite. Mais il sait aussi s’incliner devant le génie du trait, s’adaptant aux besoins chamarrés de l’imagination, contrairement à ce fasciste de crayon, imperturbablement gris. Car si le crayon est austère, le feutre est festif. Son odeur enivre tel un spot de snorkling après le passage de l’Erika.

Jetant un coup d’oeil par dessus l’épaule parentale, Fédéré monte le son:

— Mais Papa, qu’est-ce que tu racontes, ça veut rien dire ! Tu sais, c’est pas parce tes copains du boulot sont partis que tu dois faire n’importe quoi. Tu sais, mon pote, Yvon-Claude, il a son père qu’est journaliste aussi. Il travaille à Tellement Papier. Je pourrais lui demander si il a besoin de quelqu’un, si tu veux ?

— Ca ne t’ennuie pas que je termine ?

Si le crayon croit jusqu’à la dernière extrémité de sa mine en sa destinée éternelle, son oeuvre, le crayonné, est en réalité promis à l’oubli. Car les crayonnés, archives rances destinées aux collectionneurs rétrogrades, sont irrémédiablement recouverts par le rOtring, supplément d’âme du contour, magnifiant le contraste pour donner vie au dessin.

Il lâche son stylo.

Pensif, J-Pol vérifie sa messagerie, muette; Il comprend dans le regard inquiet de son fils la pitié qu’il suscite.

J-Pol retiendra-t-il quelque chose de cette leçon de vie ?

Aura-t-il l’outrecuidance de monter un nouveau torchon au sobriquet parodique ?

Illustration: La Hyène

Share on FacebookShare on Google+Share on TumblrTweet about this on TwitterEmail this to someone

Tags: ,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *