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Edito #4

Petit guide du révolutionnaire : Les nouveaux penseurs

2 février 2016 Commentaires (0) Vues: 7138 Article

Noël Godin : “Crémez-vous les uns les autres !”

Selon la Direction générale Statistique et Information économique, près de 85 % de l’existence de Noël Godin aurait été consacrée à organiser l’entartage de fiérots superflus. C’est assez exagéré. Il a également passé de longues lunes à parler, écrire ou lire des livres, réaliser, jouer ou visionner des films, le tout en buvant de larges lampées d’Oud Zottegem. Les chiffres sont éloquents.

L’origine

La naissance de Georges Le Gloupier, auteur immatériel des entartages médiatiques, daterait de 1966. Il aurait été inventé par le joyeux critique-journaliste-écrivain-cinéaste-acteur bordelais anar-nanar Jean-Pierre Bouyxou. Il fit de Georges un personnage polymorphe, objet de fantasmes aléatoires, destiné à aérer d’un peu de fantaisie la rédaction de ses papiers qui l’emmerde. Au-dessus de la Loire, Noël écrivait, au hasard, des interviews chocs (Yves Montand: “Il faut neutraliser le fascisme pop”) brisant l’omerta du 7ème art (Robet Hossein: “Raspoutine veut ma peau”) par l’exhumation des plus grands scandales (Stanley Kubrick tirait au sort ses plans). La mythomanie pour seul dogme (Godin par Godin, Yellow Now, 2011). Aimanté par la révolte cinématographique belge, Jean-Pierre rencontra Noël circa 68, à la buvette de la Cinémathèque bruxelloise. Plagiaire invétéré, ce dernier s’appropria le Gloupier pour le consacrer comme entarteur. Son acte inaugural serait le tartinage de la face à Robert Bresson.

S’il peut apparaître fâcheux de mettre en doute la mémoire de ces deux grabataires, il serait également malhonnête de souscrire aveuglément à leurs propos, sans convoquer les souvenirs passionnants des témoins de l’époque que la postérité oubliera à jamais.

Hébert Gerac, ancien rédacteur en chef du Calembour Liégeois – l’organe de presse militant pour l’inscription de la bière trappiste au Patrimoine mondial de l’UNESCO – se rappelle d’un évènement oublié du jeune Godin: “Sous ses airs de bouffon houblonné, Noël est en réalité un véritable vorace. Il bouffe des bouquins depuis qu’il est en âge de téter. Des tomes entiers à gober, des kilobornes de reliures à digérer. Mais c’est un vorace traumatique, aussi. Même si c’est difficile à concevoir, cette passion dégueulante le dévore. Je me souviens qu’un jour, alors qu’il étudiait au collège Errol Flynn de Liège, son professeur de sport stalinien, Georg L. Khloupier, le surprit en train de gloutonner un feuilleton flibustier, bien calé sur un cheval d’arçon. Pour l’exemple, Noël fut séquestré durant deux nuits dans la réserve de produits laitiers du réfectoire. Il ne l’avouera jamais, mais je reste persuadé que l’origine pâtissière du Gloupier vient de là. Tout comme son exceptionnel capital salivaire, d’ailleurs.” Une autre source avinée mentionne l’existence d’un vieux thésard népalais qui aurait quant à lui retrouvé dans les Archives Wallonnes une brève relatant la fin tragique du cuisinier de l’Auberge du Gloupié (non référencée au Michelin), qui, intolérant au glucose, finit étouffé par l’ingestion d’une sugar-pie, spécialité méconnue de quiche à base d’insuline.

Noel-Godin-1_Poppers-magL’encyclopédiste

Pour mieux travestir ce trauma originel, Noël brouille les pistes, en référençant à outrance son action. Son érudition surannée lui autorise tout d’abord une mise au point historique de ses ascendances crémeuses: l’acte supposément créateur de Fred Karno, la récupération pelliculaire de Bronco Billy (Mr. Flip, 1909), la consécration-sacrifice de Mack Sennett/Fatty Arbuckle (A noise from the deep, 1913), Laurel et Hardy (La Bataille du Siècle, 1927) sans oublier l’hystérie chamarrée des Looney Tunes, alors même que l’Entarteur place au sommet de son panthéon les trucages improbables de Charley “Bricolo” Bowers.

Plus encore, Noël inscrit sa démarche dans la continuité de l’activisme séditieux, gouverné par le grotesque enragé, avec la jouissance comme idéal et l’ordre comme ennemi. Ce n’est pas qu’il n’aime pas le dialogue, mais selon lui, l’existence ne nous laisse pas le choix; la subversion est inévitable. Dans un élan de tolérance pacifique, il ne dit pas autre chose: “Les intellos de gauche désabusés disent que de toute façon, tout est foutu, mais, je m’excuse, je leur pisse à la raie“. Car pour être réellement soi-même, c’est-à-dire libre, il faut contester au quotidien l’ordre établi, bande de pigeons anarchophobes. Cet instinct contestataire fait de lui le passeur d’un monde bordélique, un univers où le génie côtoie le tocard, le torché, le chef-d’oeuvre, parfois simultanément, naviguant de l’insoutenable transgression des Pieds Nickelés à la pudeur suggérée de la Vie Sexuelle de Tintin (Jan Bucquoy, conservateur du Musée du Slip), de la légèreté de Georges Darien à la clarté pataphysique, du sérieux lyophilisé d’Alphonse Allais à la prose pré-colombienne de Benjamin Péret, du mainstream nuancé du Living Theatre au naturalisme bon-enfant de Roland Lethem, de la théorisation de l’émancipation quotidienne de Raoul Vaneigem à l’incontinence de Pierre Pinoncelli, de la révolution blanche des provos bataves à la transparence bureaucratique des Black Blocks.

Mais s’il érige à chaque occasion un mausolée à tous les contestataires actifs de l’Histoire (à l’exception notable de son aïeul Jean-Baptiste André qu’il conchie pour avoir fondé le familistère de Guise, congrégation prolétarienne fossoyant l’utopie jouissive de son mentor Charles Fourier), c’est avant tout les exploits des Yippies qu’il loue en boucle, admiratif des audaces maquillées de Jerry Rubin (Do It !) et des entremets d’Aron Kay, aka the Pieman, entarteur de Warhol.

Nanarland

Tout en tartinant avec anarchement, Léon Dingo tente une carrière multiple de sabotage, en commençant par souiller le 7ème art qu’il vénère tant. Il participe ainsi à quelques-uns des chefs-d’oeuvre de ses collègues (Jan Bucquoy, Jean-Jacques Rousseau, Jean-Pierre Bouyxou), tout en rassemblant l’énergie créatrice nécessaire à réaliser sa “Trilogie du cloaque“, œuvre stakhanoviste de près de 65 minutes en moins de 40 ans (Grève et Pets, Prout prout tralala, Si j’avais dix trous du cul). Mais malgré le soutien appuyé de Gérard Courant, un poil plus prolixe, Noël ne se sent pas acteur. La navrance qu’il incarne pourtant à la perfection et qu’il défend au quotidien ne fonctionne pas à l’écran, malgré l’innovation du Cinématon (succession de près de 3000 portraits muets, filmés depuis près de 40 ans par Gérard Courant: #214, ou quand 2001 rencontre l’Ami Ricoré) ou l’épopée de la trilogie cannoise, génial patchwork de comédie romantique, ou quand l’amour impossible donne le Sens de la Vie (Couple #71, Portrait de groupe #123, Boudou prend son bain), sans oublier ses featurings récents dans le mainstream francophone, histoire de décorer (Mocky, Yolande Moreau, Valérie Lemercier, Kervern & Delépine).

Noel-Godin-2_Poppers-magL’enducteur

En dépit de ce don qui aurait dû éclipser le succès des frères Marx, Noël comprend peu à peu que le gloup-art ne peut souffrir de dispersion. Il deviendra donc sa signature, sa griffe permanente, rejeton prodige d’une lignée glorieuse, fruit rebelle d’un héritage multiple, insaisissable, qui coule d’entre les wads. A la fois stupide, malin, dangereux, inoffensif, audacieux, fourbe, évident, redondant, étonnant, efficace et inutile, l’anti-happening de la tarte à la crème produit l’effet d’une surprise éculée (d’où l’expression, sans doute), chaînon manquant reliant les spectateurs, comblés par la niaiserie de leur rire lucide, et les victimes, honteuses de leur susceptibilité.

Pour atteindre son objectif, l’arme doit être gourmande, fouettée avec soin et, si possible, en provenance de la banlieue nord de Bruxelles (Le Petit Pain Frais, Haachtse Steenweg, 40, 1210, Saint-Josse-Ten-Noode). La mousse à raser est réservée aux fafs; l’assiette en carton, aux anorexiques. Geste à la fois simple et spectaculaire, l’entartage est prompt à assurer une renommée internationale au liégeois. Ce sera bien évidemment le cas lors des éclaboussures sur le veston du pédégé de Macrohard, tartiné par le regretté Rémy. L’entarteur devient ainsi l’auteur de sa propre révolution. Un acteur libre de toucher qui il veut, n’importe où, au moment choisi. Un héros exalté qui cesse d’être ce spectateur admirant passivement l’audace de son prochain qu’il jalouse. Une position résumée de manière limpide par Noël: “Savoir s’identifier tout de pic à des héros hyperbandants […], n’est-ce pas encore, au vrai, un des meilleurs moyens de ne plus pouvoir souffrir, soi, de survivre miteusement une seconde de plus, d’être porté à conspirer pour remodeler séance tenante son vécu au gré de ses inclinations subjectives les plus incendiantes …?” Cette liberté syntaxique lui permet de délivrer un message à la portée infinie, car l’onde de choc, produite par la surmédiatisation de ces tocards à laquelle le Gloupier souscrit, menace toutes les victimes potentielles. Le tsunami pâtissier est d’autant plus crédible que le porte-parole planétaire de cette déviance de la nouvelle cuisine défend de toute sa salive l’action collective, solidaire, partouzarde; condition indispensable à sa réussite. Le soulèvement spontané d’armadas de guérilleros postichés amateurs, motivés, mais qui, exemptés de la planche irlandaise, savent également échouer (l’entartage avorté du Pape, trop précipité, ou celui de Philippe Sollers, Noël étant mal informé des modalités d’ouverture centralisée des berlines familiales). L’entartage se voit donc dépassé par le halo qui l’entoure, par cette panique qui rode pour mieux étreindre l’urètre douloureux des fâcheux flambeurs.

Ces victimes arrogantes, ambitieuses et ridicules révèlent leur véritable nature après l’impact, alors qu’une simple pirouette désabusée (peu importe la formule, Noël lui-même ne s’emmerde pas non plus à peaufiner ses slogans alexandrinés: “Entartons, entartons, les pompeux cornichons, […], le polluant pognon, […], les ministres bouffons”, […], “les arrogants étrons”, […], “les xénophobes cochons”, etc…) désamorcerait l’irrémédiable vengeance de pâte sablée. Il doit s’agir d’une cible éminemment exécrable, vulgaire, pompeuse, qui mérite, quoi (pas Ben, par exemple). Un symbole de la raconte oppressive, donc, sur-incarnée par BHL, dont la fréquence d’entartages n’a d’égale que la prise d’assaut solitaire du palais royal belge par Jan Bucquoy, entarteur de Douste-Blazy. Une victime qui doit jouir d’un pouvoir à même de susciter le dégoût, y compris pour une abstention malheureuse (Béjart qui n’aurait pas soutenu le Living Theater tabassé en Avignon). Mais la cible peut aussi bien se dévoiler de façon hasardeuse, qu’il s’agisse d’une occasion à saisir (Marco Ferreri, premier cinéaste élitistisant croisé à Cannes), ou du dernier sbire-émissaire prêt à recevoir la sucrée semence (Alain Bévérini, doublure de PPDA resté à Lorient pour préparer le bulletin de la météo marine de TV Breizh).

La recherche de la cible idéale est pourtant mise à mal durant la phase “culturelle” des entartages, qui ne brille ni par son audace, ni par son écho, tant la vacuité des victimes fait qu’on s’en retrousse copieusement les rouleaux: Benjamin Castaldi ou Hélène sans les Garçons pour dénoncer l’analphabétisme cathodique (alors qu’était prévue en réalité l’inondation urinaire des bureaux de MM. Berda et Azoulay, avec en plan B, le déminage de la Plaine Saint-Denis, annulé pour défaut de mécénat), l’esthète Bruno Beausir pour sakkopportunisme, ou Pascal Sevran, suspecté de défendre une interprétation élargie du droit de fistage des stagiaires tintinophiles.

Aujourd’hui, le pic d’activité du terrorisme pâtissier semble révolu.

Mis à part un petit BHL à l’occasion, le godin assagi assure désormais le SAV de son action jouissive. Il rappelle à longueur d’interviouves les moindres détails de ses exploits, ceux de ses aminches (Robert Dehoux, le boucheur de serrures, l’élite grolandaise, …), et sentant la fin venir, passe un relais plein d’optimisme aux nouveaux activistes “ludiques” (Yes Men, Brigade Activiste des Clowns, Casseurs de Pub,…). Et par pitié pour ses contemporains à l’inculture amnésique, Noël compile, entre deux chroniques écrites sur le Vieux Port, son horizon libertaire dans son parpaing l’Anthologie de la Subversion Carabinée, qu’il recycle épisodiquement pour le Théâtre du Rond-Point, comme un lointain écho du Palace.

GLOUPIGRAPHIE

Le site du gloupier

Interviews

Portrait par Berroyer

arte

Article 11

Libération

l’Oeil électrique

So Film

Les Inrocks

Illustration: La Hyène

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