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Miriam Makeba - Mama Africa

12 octobre 2015 Commentaires (0) Vues: 5462 Article

Miriam Makeba – Mama Africa

“Je ne chante pas de politique, je chante la vérité” – Miriam Makeba

L’image de la mère est, à s’y méprendre, l’une des plus complexes qui soit. Sans entrer dans des considérations pseudo freudiennes de bas étage en tentant d’analyser si oui ou non elle est la figure sexuelle originelle de l’homme, je souhaiterais m’attarder à démontrer que la mère est une figure révolutionnaire. A première vue, on serait tenté de dire que la mère est l’un des rôles les plus primitifs et stables qui soit, remontant à la nuit des temps. Pas vraiment celle qui fait tout basculer donc. Une mère n’aurait pour unique but que de protéger son nourrisson et d’en assurer la survie jusqu’au sevrage complet de l’enfant prodige, que ce soit 2 mois pour le chaton ou aux alentours de la trentaine pour la génération de désoeuvrés dont je fais partie. Ce rôle protecteur se matérialise sous la forme de l’amour sans borne que la mère a pour son rejeton, si profond qu’il outrepasse parfois les limites des liens familiaux, s’engageant alors dans la sphère de l’étranger. Il s’avère alors qu’une mère est un être qui aime de manière inconditionnelle. Elle est prête aux plus grands sacrifices lorsqu’elle sent sa progéniture en danger. A l’image de la Michelle Fléchard du Quatre-Vingt Treize de Hugo, l’amour maternel peut faire des miracles, déplacer des montagnes, faire trembler des hommes voire même des régimes politiques. Rien n’effraie plus un homme qu’une femme animée d’une force féroce dont il ne peut ni comprendre ni mesurer l’étendue.

Si l’on résume, nous avons donc là un être dont la vocation première est d’aimer et de protéger, un être capable de tout pour arriver à ces fins. Vu sous cet angle, c’est finalement assez logique que la figure maternelle se soit imposée au fil du temps comme l’allégorie révolutionnaire idéale. D’ailleurs, la Liberté guidant le peuple de Delacroix, de son sein nu, n’est-elle pas la mère nourricière de la Révolution, allaitant ses enfants de l’amour nécessaire à nourrir un courage révolutionnaire dont on ne sait plus très bien ce qu’il est devenu ? C’est sans doute pour des raisons similaires que Miriam Makeba est devenue un jour Mama Africa, symbole de lutte et de révolte de tout un continent qui se cherche depuis bien longtemps. La chanteuse sud africaine est sans conteste une mère dont l’amour a transcendé les limites du cercle familial pour finir par s’étendre à toute l’Afrique. On peut alors se demander comment une simple femme en arrive à assumer un tel rôle ?

La naissance de l’âme révolutionnaire

Pour commencer, il ne faut pas oublier qu’avant d’être mère, une femme naît fille. Miriam Makeba voit le jour en 1932 dans les townships, les quartiers noirs et pauvres de Johannesburg. Sa mère est un personnage à part dont l’influence sur Miriam sera essentielle. Si son parcours est un peu obscur, on sait qu’elle était guérisseuse et qu’elle a fait 6 mois de taule pour avoir fabriqué illégalement de la bière lorsque Miriam était enfant. Ces quelques informations, ajoutées au fait qu’une mère sert indéniablement d’exemple à son enfant, nous permettent forcément d’entrevoir ce qui attend la petite Makeba. 

Miriam_Makeba-1Mais bien plus que son patrimoine de guérisseuse, c’est l’oppression et l’injustice qui vont façonner la personnalité de Makeba. La jeune Zenzi (diminutif de son vrai prénom: Zenzile) choisit un chemin différent de sa mère et commence par des petits boulots. A côté de cela, la petite Miriam, ayant toujours été sensible à la musique, chante dès qu’elle en a l’occasion. Ce n’est donc pas un hasard si on la retrouve rapidement parmi les choristes de certains groupes locaux. Il ne faudra pas longtemps pour qu’on remarque sa voix. Il faut dire que Miriam chante remarquablement bien pour quelqu’un qui n’a jamais vraiment appris et qu’elle est aussi incroyablement belle ce qui n’enlève rien ! Si ses yeux d’un noir profond portent l’ombre de la souffrance et de l’injustice, cette part sombre est pour le moment recouverte de l’éclat d’un sourire blanc, brillant de mille feux.

Ainsi, Miriam se fraie petit à petit un chemin sur la scène sud africaine et vers la fin des années 50, elle fait déjà partie des étoiles montantes de Johannesburg avec des titres tels que le fameux “Pata Pata” qui feront sa renommée plus tard dans le reste du monde. Mais si certaines chansons sont inoffensives, d’autres sont d’ores et déjà empreintes d’une certaine sincérité sociale faisant état de la pauvreté et de l’injustice auxquelles la jeune chanteuse assiste quotidiennement dans les townships, voire d’une nostalgie culturelle que nous retrouverons magnifiées quelques années plus tard également. Miriam s’impose donc de plus en plus comme une voix populaire dans son pays au point qu’elle finit par figurer en bonne place dans un film documentant la vie des sud africains noirs et de l’apartheid. Sa participation dans Come Back, Africa (1957) fait sensation et amène la chanteuse à participer au Festival du Film de Venise où les opportunités se multiplient. Tout semble donc rouler pour la jeune chanteuse mais il y a un revers de médaille à cette soudaine hausse de popularité : Miriam devient une icone de la lutte contre l’apartheid ce qui lui ferme désormais les portes de son propre pays. A partir de là, rien ne sera plus jamais comme avant. Bannie, elle décide de s’exiler à New York pour tenter sa chance.

En se rendant aux Etats-Unis à l’orée des années 60, Miriam Makeba pense quitter un système archaïque et barbare pour atterrir dans le pays de la liberté et du progrès. Là encore, les choses vont vite et elle commence à chanter au Vanguard où elle tape rapidement dans l’oeil d’un certain Harry Belafonte.

La lutte devient politique

Il faut bien comprendre ce que représente le chanteur aux origines caribéennes à son époque. Un peu à la manière de Sydney Poitier, Harry Belafonte est parvenu à s’extirper du carcan étroit du gentil créole qui chante un calypso discret, idéal pour rythmer les cocktail parties des galas républicains. Il a su faire entendre sa voix en tant qu’artiste, puis en tant qu’homme (noir de surcroit) dans une Amérique qui tangue alors au rythme des incidents raciaux (aujourd’hui encore ?). Au début des années 60, son engagement en faveur de la cause noire est déjà bien connu et il voit en Miriam la cristallisation d’une volonté profonde de retour aux sources culturel chez une grande partie des noirs américains. Sans parler du talent évident, presque arrogant qui suinte de la chanteuse sud africaine, il voit en elle la possibilité d’affirmer un patrimoine culturel profond et riche qui permettrait à sa génération de trouver un certain ancrage et de mieux comprendre l’injustice subie.

Miriam_Makeba_Recadrage2 (1)Makeba se retrouve donc propulsée sur le devant de la scène par ce bellâtre au goût certain. Elle commence à enregistrer en studio et à se produire un peu partout aux Etats-Unis. L’opportunité pour elle de faire connaître sa musique, sa culture mais également son pays et sa situation politique. Du fait de son exil, sa terre natale reste fermement ancrée dans son esprit. Miriam chante son Afrique du Sud et tente d’attirer l’attention sur ce qui se joue alors sur ses terres. Sans grande surprise, son succès est immédiat et Zenzi prend de l’ampleur. Elle côtoie le gratin nord-américain et rencontre même le président ce qui a le mérite de lui ouvrir quelques portes. Ainsi, en 1964, Miriam obtient une tribune au Nations Unies lui permettant de s’exprimer sur le sujet qui lui tient à coeur : l’apartheid en Afrique du Sud. Elle devient la 1ère artiste à en appeler au boycott de son pays face aux politiques raciales de l’apartheid à la suite de quoi… elle est bannie une seconde fois de sa terre natale !

Cette aberration supplémentaire n’empêche cependant pas Miriam de poursuivre son ascension. Elle enchaîne les enregistrements et les tournées, enfilant les succès comme des perles à un collier. Mais au fur et à mesure que le public répond à l’appel, l’âme révolutionnaire de Miriam gonfle. Elle n’est pas dupe : si les Etats-Unis lui ont donné une tribune extraordinaire, elle est bien consciente que la situation des noirs en Amérique est tout aussi dramatique que celle des sud africains subissant l’apartheid. Ses relations avec Belafonte et d’autres militants des Droits Civiques l’amènent rapidement à s’orienter vers les courants les plus radicaux de ces mouvements. En 1968, elle se marie avec Stokely Caramichael, un des leaders charismatiques des Blacks Panthers. Les répercussions de cette union sont immédiates et ses tournées aux Etats-Unis sont tout de suite annulées. Les contracteurs craignent en effet que l’argent donné à Makeba serve à financer la cause des Black Panthers. Face à ce nouveau rejet de l’establishment et à l’injustice qui envenime les Etats-Unis aussi bien que son Afrique du Sud natale, Miriam et son nouveau mari décident de retourner vivre en Afrique.

L’ouverture culturelle

La Guinée d’Ahmed Sékou Touré accueille avec joie le couple nouvellement marié. Pour Miriam, ce retour en Afrique est une révélation. En effet, pourquoi chanter sa culture et son continent là où on ne l’entend pas ou peu ? Elle se rend compte que son message à d’autant plus de portée en Afrique où le déficit culturel est tout aussi présent chez les africains que chez les noirs américains du fait de l’influence coloniale encore très puissante. La plupart des pays d’Afrique subissent encore le joug tyrannique des colonisateurs et ont été formés, brutalisés afin d’éradiquer toute trace de leurs cultures païennes et originelles. A commencer par leurs langues. Miriam s’empresse de mettre de l’huile sur le feu et se crée un répertoire complexe, chantant en de nombreuses langues africaines. Elle se porte d’elle même garante d’une certaine idée de la culture noire africaine et reçoit en retour le surnom de Mama Africa.

Désormais, partout où elle se produit, que ce soit en Europe, en Amérique Latine ou en Afrique, elle porte haut et fort un patrimoine et un héritage culturel jusque là quasi tabou. Elle fait sonner sa langue, le xhosa, comme une déclaration d’indépendance vis à vis du colon ; elle porte des tenues traditionnelles partout où elle chante et redonne ainsi à l’Afrique et à sa culture une place de choix dans le monde. Ainsi, Miriam poursuit son chemin sur la scène internationale, toujours accompagnée de ses fidèles musiciens. Son succès ne faiblit plus et son influence continue de croître. Elle est proche d’hommes forts en Afrique tels que le président guinéen, Ahmed Sékou Touré qui a rendu son indépendance à la Guinée et elle continue de voyager partout dans le monde. Cependant, elle est toujours persona non grata en Afrique du Sud bien sûr mais aussi aux Etats-Unis et ce malgré le fait que Caramichael et Zenzi se soient séparés dès 1974. Elle restera en Guinée, jusqu’au coup d’état militaire de Lansana Conté mais aussi jusqu’à une nouvelle tragédie personnelle : la mort de sa fille Bongi.

Douleur de l’exil et la frustration maternelle

Il faut bien comprendre une chose avec Miriam Makeba. Tout au long de sa vie, de sa carrière, elle reste animée d’une douleur et d’une déchirure profonde : celle de l’injustice et de l’exil. Tout au long de son combat, c’est cette déchirure béante qui aura en un sens permis à Miriam d’avancer sans se retourner. Elle commence par laisser Bongi, sa fille derrière elle. Puis sa mère meurt en 1960, au début de son exil aux Etats-Unis. Miriam ne pourra pas assister aux obsèques. La frustration et la douleur de ces évènements nous donnent un début de réponse à l’importance accordée à la famille par Makeba et a sa volonté d’avoir toujours sa progéniture près d’elle par la suite. En effet, Bongi, fruit du premier mariage de Miriam, rejoint rapidement sa mère au Etats-Unis et devient une de ses choristes. Toutes deux ne sont ainsi jamais bien loin jusqu’à ce que Bongi meure en 1985 en mettant au monde un enfant mort né. La mort prématurée de sa fille va laisser Miriam dans un désarroi profond.

Mais comme toujours, cela ne l’empêche pas d’avancer. Makeba continue de parcourir les scènes du monde entier, enregistre sa musique, participe à des tournées aux côtés de Paul Simon et écrit même son autobiographie. Puis, après plus de 30 années d’exil, elle obtient finalement le droit de retourner dans son pays natal. Nelson Mandela vient d’être libéré et l’apartheid abolie en Afrique du Sud. Le futur président sud africain convainc la chanteuse de revenir fouler sa terre natale et en 1990, Miriam revient à Johannesburg. Un bref moment de répit pour la chanteuse qui en profite pour enfin visiter la tombe de sa mère. Ce retour aux sources ne suffira cependant pas à réparer ce qui ne peut plus l’être. L’Afrique du Sud a cessé d’être son pays et la chanteuse est désormais apatride. Miriam continuera de sillonner le monde, jusqu’à sa mort, en 2008.

Le poid du fardeau

On s’aperçoit qu’en définitive, le rôle de Mama Africa et son importance dans l’histoire de son continent et dans la vie de ses habitants eut un prix terrible pour Miriam. Il est finalement plus la conséquence d’une vie difficile, passée à affronter les épreuves et les injustices sans jamais réchigner. Makeba s’est trouvée une force hors du commun au fur et à mesure que le sort s’acharnait sur elle. Un peu comme la Michelle Fléchard de Hugo donc, elle n’a jamais baissé les bras malgré l’adversité et a continué d’avancer. Elle fut comme portée par sa vocation et l’amour débordant qui l’animait. Son impact dans la prise de conscience africaine est indéniable et d’une importance capitale pour ce continent. Makeba a porté haut et fort des valeurs et la culture jusque là quasi oubliée des peuples africains. Elle a redonné vie à un message et ranimée tout un peuple d’un esprit de rébellion qu’on pensait perdu. Un peu à la manière de Fela Kuti, Makeba a ouvert une porte sur l’Afrique grâce à un talent si grand qu’il lui était impossible de ne pas transparaître, même dans les sociétés les plus hermétiques. Miriam a donné le sein à tout un peuple en matérialisant son patrimoine culturelle. Un signal d’existance fort à une époque où l’uniformisation culturelle est à son apogée.

Source

Mama Africa – Mika Kaurismäki

 

Illustration: J.Bardaman

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