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Edito de Noel

Reportage Photo : Panama

31 décembre 2014 Commentaires (2) Vues: 4179 Article

Dave Van Ronk – Le Maire de MacDougal Street

Il existe des personnages dont on ne sait rien ou très peu, dont on a vu le nom filtrer au hasard d’une lecture fortuite, alors qu’on s’aventurait aux dehors des plus belles pages d’Anna Gavalda… Des personnages dont le nom seul suffit pourtant à vous marquer l’esprit, mais qu’on a vite fait d’oublier parce qu’au fond, ce qui nous intéresse, c’est de comprendre comment Robert Zimmerman est devenu Bob Dylan ou de savoir comment l’amourette entre Amélie Poulain et Jappeloup se termine si entre temps, vous êtes revenu sur Anna Gavalda…  On laisse filer ce nom entre nos doigts comme une vague anecdote. Il faut dire que lorsqu’on s’attarde au cas de Dave Van Ronk par exemple, et qu’on pousse la veulerie jusqu’à effectuer une recherche rapide sur nos pages virtuelles préférées, force est de constater qu’aucun accomplissement majeur n’apparaît, que la voix éraillée du bonhomme ne fait pas vraiment mouche et que physiquement, Serge Lama a encore de beaux jours devant lui. Non, il faut avoir l’oeil et le goût particulièrement acéré d’hommes de la trempe des frères Cohen pour déceler le potentiel cinématographique, voire historique, d’un looser aussi génial que Dave Van Ronk. Parce qu’au fond, il est là le problème: nous sommes de sages brebies égarées, éduquées à ne regarder que ce qui brille et à délaisser ce qui est irrégulier et peu enclin à séduire nos coeurs de midinettes. Pourtant, ce n’est pas en fouinant dans le passé de Bob Dylan ou de Leonard Cohen qu’on va comprendre ce qu’il s’est réellement passé pour qu’un quartier délabré de l’Ouest de Manhattan devienne, le temps d’un instant, le centre du monde. C’est en comprenant qui étaient Dave Van Ronk, Phil Ochs, Paul Clayton ou tous ces illustres inconnus que l’on sera en mesure de toucher du doigt la vibrante atmosphère qui régnait sur le Village à l’orée de ce qui est devenu le point de départ d’un mouvement musical qui perdure: la musique folk. Mais revenons en arrière.

L’Amérique d’après-guerre et les premiers échecs

Van Ronk fait partie de cette génération d’américains issue de l’immigration d’après guerre, née trop tard pour partir combattre les méchants japonais dans le Pacifique. Une génération chanceuse me direz-vous. Certes, mais une génération qui vit les conséquences de la grande guerre et tente de s’en détourner. Un idéalisme puissant l’imprègne. A New York, cette génération d’enfants immigrés vit à l’écart, dans les quartiers pauvres, et commence d’ores et déjà à créer une contre culture mêlant tradition des pays d’origine et ajouts faits en cours de route. Van Ronk est ainsi bercé par le folklore irlandais dont il est issu mais il baigne également dans le blues et le jazz traditionnel. Il va d’ailleurs tenter très tôt de faire partie du mouvement mais ses gros doigts boudinés ne lui permettront pas de devenir un virtuose du banjo ou de la guitare.

Il commence tout de même à écumer les scènes des cabarets jazz où il réalise qu’il a du coeur et que sa voix porte. Le jazz connait un succès fou à Manhattan et les opportunités ne manquent pas. Mais le coeur ne suffit pas et le jeune Dave est confronté à un choix crucial. C’est effectivement à ce moment là, à la fin des années 40, que le monde du jazz se disloque et que ses musiciens doivent choisir entre le jazz traditionnel et un genre nouveau, plus rythmé et dansant: le Bebop. Une situation mille fois vue dans la musique. Quiconque a un peu de bon sens sait que suivre des courants établis depuis trop longtemps ne mène à rien. Mais les chemins de la gloire sont semés d’embuches et le jeune Dave fait sa première erreur à ce moment là. Il choisit de tourner le dos au Bebop et se retrouve vite sur le carreau. A cette époque, il dort à droite à gauche et commence à fréquenter des cercles révolutionnaires anarchistes, trotskistes et j’en passe. D’un point de vue musical, il décide de revenir vers le blues qui a bercé son enfance et pour lequel sa voix semble prédisposée. Il laisse définitivement tomber le banjo et découvre le picking à la guitare. C’est donc avec Le Capital dans une main et sa guitare de l’autre qu’il est amené à fréquenter, un peu par hasard, Washington Square où se retrouvent tout un tas de hippies endimanchés pour frapper sur des bongos, gratter des guitares et chanter à tue-tête. Son style s’affine. Au fil des rencontres et il se rend rapidement compte qu’un mouvement naît. Un peu à la manière du jazz, ces jeunes révolutionnaires s’amusent à réinterpréter des standards de la musique folklorique américaine, irlandaise ou autre en les modernisant quelque peu.

La naissance de la scène folk et l’avènement de son maire

Un jeune public d’étudiants et de gauchistes commence alors à se regrouper dans quelques endroits précis, bien souvent minuscules. Van Ronk et sa clique prennent du bagout et établissent leur territoire à Greenwich Village et plus précisément sur MacDougal Street. Avec sa forte personnalité, sa grande gueule, son sens du syndicalisme forcenet et son expérience dans le jazz, Dave Van Ronk devient rapidement un leader, tentant d’organiser et de mener sa petite révolution à bien. Des cafés accueillant les artistes folk commencent à naître un peu partout sur quelques pâtés de maisons. Van Ronk s’y forge un répertoire tout en gagnant un pécule assez régulier pour qu’il puisse s’offrir un appartement avec pignon sur rue, ce qui lui vaudra son surnom de “maire de MacDougal Street“. C’est le début de la belle époque pour lui. Tout comme certains membre de sa clique, il se prend enfin à rêver de succès et de reconnaissance. D’autant que l’industrie commence à flairer le bon coup et à produire des versions édulcorées de ces artistes faméliques. La faim au ventre, certains espèrent en effet être repérés et pouvoir percer. Van Ronk jouit d’une place de choix dans le milieu et croit en ses chances. Tant et si bien qu’il tourne le dos à une offre qu’il juge trop facile et frivole: on lui propose d’être le membre d’un trio mixte. Lui veut demeurer seul en tête. Le trio en question verra le jour sans lui sous le nom de Peter, Paul & Mary et connaitra une renommée internationale.

DVRIIMalgré ce nouveau revers, l’humeur est à la gaudriole et les affaires sont bonnes. Van Ronk ne réalise pas la récurrence inéluctable dans laquelle ses choix l’enfoncent petit à petit ni même ce qu’elle révèle de sa personnalité. Les nuits sont longues, passées à jouer, boire et s’engueuler avec les autres artistes locaux sur la politique, la philosophie et la musique. Ces fils et filles d’ouvriers passent leur temps à lire et à tenter de déjouer le système. Il faut comprendre que nous sommes à l’orée des années 60 et qu’ils sont l’avant-garde du mouvement hippie, à une époque où les Etats-Unis chassent les sorcières et accessoirement les communistes et qu’il ne fait pas bon exprimer une opinion qui sorte des sentiers battus. Dans la cohue, certains partent, d’autres, plus jeunes, ambitieux, arrivent. Un jeune juif gringalet fait son entrée sur MacDougal Street. Il chante comme une pipe, souffle dans son harmonica comme un sourd, mais il a de la répartie et roule sa bille aux échecs. Van Ronk et sa clique le prennent en sympathie et il se retrouve à dormir sur leur canapé plus souvent que de coutume. Celui qui se fait appeler Bob Dylan profite de ses nouvelles connaissances pour faire la découverte de Rimbaud et faire ses premières scènes quand on lui en laisse la rare opportunité.

Dylan et les autres

Van Ronk est alors un régulier du Gaslight Café et d’autres clubs folk. Son répertoire s’affine et il commence à envisager la matérialisation de ses progrès sous la forme d’une de ces curieuses galettes de vinyle qu’on a coutume d’écouter à l’époque. Après un premier essai plutôt mauvais quelques années plus tôt, il choisit cette fois de prendre son temps afin de marquer un grand coup et d’inscrire définitivement son nom dans la culture populaire de son époque ainsi que dans le mouvement revival folk. Il décide d’une date d’enregistrement et s’arrête sur une liste de titres parmi lesquels une reprise de “The House of the Rising Sun“, un titre traditionnel qu’il a réarrangé et qui semble propice à le lancer dans la cour des grands. Toutefois, un beau jour, Dylan lui demande s’il peut enregistrer cette version lui aussi. Embêté, Van Ronk lui répond qu’il préférerait la garder pour lui ce à quoi le jeune Dylan lui rétorque un “oh oh… ” révélateur. Il s’avère qu’il a d’ores et déjà pris la liberté d’enregistrer cette version le jour même dans un studio de la Columbia. Résultat des courses: le titre fait fureur et c’est bel et bien le jeune Zimmerman qui est propulsé au rang de succès en devenir en lieu et place du maire de MacDougal Street. Un revers de plus pour Van Ronk qui est plus accablé par la fatalité liée à son style de prédilection que par l’entourloupe de Dylan. En effet, comment en vouloir au Zimm’ dans la mesure où, à cette époque, tout le monde se copie et que les chansons sont toutes issues de la tradition folklorique et donc libres de droit!

La suite, on la connait: le mouvement continue de décoller, Dylan en tête. Newport marque l’avènement de la “protest song”, chanson contestataire et des chansons originales qui ne sont, elles, plus libres de droit. Business is business. Van Ronk ne se reconnait pas dans cette culture individualiste et poursuit son apprentissage éternel. Il s’oriente vers le blues, partage la scène et sa vie avec d’autres génies oubliés tels que Blind Gary Davis. Le mouvement s’estompera définitivement avec l’arrivée de l’électrique, portée comme un symbole par Bob Dylan, jugé traître par son public petit-bourgeois. Van Ronk va replonger dans des années de vache maigre comme il en a connu auparavant. La vie continue. Il remontera sur scène des années plus tard aux côtés de Dylan, lors du Rolling Thunder Revue, et figurera parmi Joan Baez, Joni Mitchell et d’autres dans une tournée mythique.

Tout ceci n’est qu’anecdote, ironie. Il serait bien difficile de cerner la complexité d’un personnage aussi haut en couleurs que pouvait l’être Dave Van Ronk. Les frères Cohen lui rendent un bel hommage dans leur film. A lui et à tout ce mouvement, toute cette époque. Les échecs de ces oubliés participent à créer un mythe autour d’eux, une douce illusion. On a le sentiment qu’ils n’ont jamais renoncé à leurs idéaux, à ce qu’ils étaient vraiment et qu’ils demeurent à jamais des combattants. La vérité est peut-être légèrement différente. Qui sait!

Bibliographie

Manhattan Folk Story – Dave Van Ronk & Elijah Wald

Live de 1964 : Hear me howl

Illustration: J.Bardaman

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2 Commentaires - Dave Van Ronk – Le Maire de MacDougal Street

  1. hb dit :

    Super article comme d hab et bravo pour les illustrations!

  2. Cathedrale dit :

    aah, c’te hasard. J’ai terminé la lecture de “manhattan folk story” cette nuit…
    Superbe article!

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